MÉDIA
Un talent sublime
Publié le 1/05/25

Entretien avec Irene Rodriguez pour la revue espagnole Ritmo : « Arielle Beck, un talento sublime ».

Traduction en français :

Arielle Beck : Un talent sublime

Elle vient de fêter ses 16 ans et elle est déjà une concertiste expérimentée, n’hésitant pas à se confronter à des partitions exigeantes avec autorité et maturité. Elle a enregistré son premier disque, qui sera publié en septembre, où figurent des variations qu’elle a composées sur un thème de Robert Schumann.

Née à Paris en 2009, Arielle Beck a étudié avec Igor Lazko et depuis 2023, elle suit des cours avec Claire Désert et Romano Pallottini au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris. Depuis ses 9 ans, elle a également été guidée par Stephen Kovacevich. En 2018, sa précocité a été couronnée par un Premier Grand Prix au Concours International Chopin Jeune présidé par Martha Argerich et, en 2024, elle a reçu le XXe Prix du Festival de l’Île d’Elbe.

Arielle Beck est une invitée régulière de grands orchestres tels que l’Orchestre de Marseille, l’Orchestre National Montpellier Occitanie, l’Orchestre de Nice, la Filharmonia Opole, l’Orchestre Symphonique du Pays Basque, l’Orchestre National des Pays de la Loire ou la Philharmonique de Tokyo, et a collaboré avec des chefs d’orchestre comme Lionel Bringuier, Lawrence Foster, Claire Gibault, Léo Hussain, Lio Kuokman, Chloé Meyzie, Gilles Millière, Jakub Montewka et Bruno Weil.

Nous avons interviewé la jeune pianiste à l’occasion de son récital le 18 mai dans le Cycle Círculo de Cámara au Círculo de Bellas Artes de Madrid.

J’imagine qu’on vous l’a déjà posé des centaines de fois, mais… pourquoi le piano ?

En réalité, plusieurs facteurs m’ont conduite au piano, mais principalement cet appétit vient de mon grand frère, qui est aussi pianiste. Je l’entendais jouer, il s’entraînait pendant des heures quand j’étais encore un bébé, ce qui a sûrement contribué au développement de mon oreille. J’ai toujours été fascinée par l’idée d’entrer dans le cœur des œuvres qu’il jouait. J’ai des souvenirs très vifs d’œuvres de Beethoven, Chopin ou Prokofiev…

Comment votre famille a-t-elle influencé votre éducation musicale ?

Ma famille n’est pas composée de musiciens, mais ce sont de grands mélomanes. Ma culture de l’écoute, mes choix et mes goûts interprétatifs semblent être essentiellement liés à mes premières expériences auditives, à mes découvertes musicales… Souvent, je sens qu’une partie de ma personnalité (au piano, par exemple, ou lorsque je compose, ou même lorsque j’écoute une œuvre) est un souvenir constant de ma première enfance, marquée en particulier par les nombreux disques que mes parents mettaient partout où nous allions.

Quels souvenirs gardez-vous du piano lorsque vous étiez enfant ?

J’ai peu de souvenirs du piano en soi et de ma relation physique avec lui avant mes sept ans, car ces souvenirs sont plutôt musicaux. Cependant, mes premiers souvenirs pianistiques me touchent beaucoup. Je me souviens du moment où j’ai ressenti l’incroyable pouvoir de faire converger des voix différentes, réparties entre les deux mains, de pouvoir créer différents plans entre elles grâce à la dynamique et à l’articulation. L’indépendance des deux mains est un jalon pianistique que je garde particulièrement en mémoire. Quant aux premiers compositeurs avec lesquels j’ai travaillé, je me souviens de Schumann, je crois, et un peu plus tard de Chopin. Schumann est un compositeur qui a beaucoup écrit pour les enfants et les jeunes. Je ne sais pas si cela a à voir avec l’admiration que j’ai ressentie pour lui très tôt, mais son univers dramatique et onirique m’a fascinée et me fascine toujours. Le piano m’a permis de m’approcher très tôt de la composition et aussi de la musique de chambre.

Comment est votre quotidien entre les études scolaires, le conservatoire et les voyages pour vos concerts ?

Actuellement, je termine ma dernière année scolaire. J’étudie à distance pour préparer le baccalauréat, ce qui me donne beaucoup plus de flexibilité. L’année prochaine, mes routines changeront sûrement. Mais en général, mes journées sont structurées autour des études, de mes cours de musique au conservatoire, de la pratique du piano, de la préparation des concerts si j’ai des voyages…

Vous trouvez-vous encore du temps libre ?

Oui, bien sûr. J’aime lire, composer, dessiner, peindre ou regarder des films. J’essaie de prendre du temps pour nourrir ma curiosité et mes réflexions personnelles. Trouver du temps n’est qu’une question d’organisation !

Vous avez remporté le Premier Prix du Concours International Chopin Jeune en 2018. Cela semble remonter à longtemps, mais cela fait seulement sept ans. Comment vous rappelez-vous ce moment ?

Comme une enfant de neuf ans, je ne me souviens pas avoir vécu ce moment comme une rivalité ou une compétition. J’y allais avec le désir de partager ma manière de ressentir Chopin, purement et simplement. Rencontrer le jury (Martha Argerich, Eva Poblocka, Alexandre Golovine, Akiko Ebi, Magdalena Hirsz et Joanna Maurer-Brezinska) a été un choc… C’était la première fois que je voyais Martha (Argerich).

Martha Argerich a été une personne importante dans votre parcours. Que diriez-vous d’elle ?

Je l’admire autant en tant que femme qu’en tant que grande interprète. Avec elle, la technique est toujours au service de la musique.

Vous faisiez partie de la célébration de ses 80 ans au Château de Chantilly en 2021. Comment s’est passée cette expérience ? À 12 ans, vous étiez aux côtés de grands interprètes comme les violonistes Maxim Vengerov et Gidon Kremer, le pianiste Evgeny Kissin ou le violoncelliste Mischa Maisky…

Ce fut une expérience incroyable au cours de laquelle j’ai rencontré des personnes extraordinaires que j’admire, tant musicalement qu’humainement. Je garde un excellent souvenir d’un moment délicieux où Martha m’a demandée de jouer une composition (en l’occurrence une mazurka) que j’avais écrite pour elle, devant ses amis ; c’était fantastique.

C’est merveilleux… Parlons maintenant de votre facette de compositrice. Qu’est-ce qui vous inspire ?

En réalité, tout ce qui me touche, que ce soit dans le domaine du sensible, presque sensoriel, ou dans le domaine de la pensée. D’une manière ou d’une autre, cela me conduit à composer. Ce premier sentiment ou cette motivation allume une étincelle qui me pousse à commencer une création. Parfois, c’est un compositeur qui m’attire particulièrement à un moment donné, ou une simple découverte musicale. J’ai des carnets dédiés à chacun d’eux. Parfois, les improvisations au piano ou même mes impressions extra-musicales, qui sont parfois de simples états d’âme que je veux explorer musicalement, suffisent pour m’inspirer. Souvent, je pense que certaines émotions n’ont pas vraiment de fonction autre que d’exister… mais elles restent là.

À Madrid, il y a une grande attente de vous recevoir et de vous entendre jouer. Vous serez le 18 mai dans le cycle Círculo de Cámara au Círculo de Bellas Artes de Madrid. Quel programme avez-vous choisi ?

Je suis vraiment excitée et honorée, sincèrement. Cette prochaine expérience est très émouvante, car ce sera mon premier récital à Madrid. Le programme que je vais présenter est composé de quatre œuvres : la Suite anglaise n° 2 de J.-S. Bach, la Sonate n° 14 D 784 de Franz Schubert, la Grande Sonate en fa dièse mineur n° 1 Op. 1 de Robert Schumann et les Variations sérieuses de Felix Mendelssohn. En parlant du programme, pour moi Schubert, le plus romantique des classiques, et Schumann, représentent d’une certaine manière un retour dramatique et émouvant à Bach. Quant à Mendelssohn, il combine la forme classique avec la substance romantique, tout comme Schubert, mais de manière très différente. Schubert et Mendelssohn ont évidemment influencé Schumann, mais ce dernier va au-delà de leur influence, transcendant à la fois la forme et le contenu à travers une écriture capricieuse et poétique. L’expression du sentiment a de multiples voies !

Quels sont vos projets pour la fin de cette année 2025 ?

Cette année est marquée par des engagements tous très importants pour moi. Très bientôt, je jouerai le Concerto pour piano et orchestre en sol majeur de Ravel. Le 4 mai, je serai à la Folle Journée de Tokyo. Plus tard, parmi d’autres événements, je donnerai des récitals à la Grange au Lac d’Évian, à La Roque d’Anthéron et à la Schubertíada de Vilabertran. Après l’été, le 12 octobre, je donnerai un récital au Théâtre des Champs-Élysées et le 28 novembre, je jouerai le Concerto pour piano et orchestre n° 20 de Mozart avec l’Academy of Saint Martin in the Fields à Londres…

… et pour l’automne, nous avons déjà une grande nouvelle, la sortie de son premier disque…

Oui, j’en suis très heureuse. En septembre prochain, mon premier album, Des lunes et des feux, sera mis en vente, produit par le label Mirare. Il inclura l’Humoreske Op. 20 de Schumann, les 8 Klavierstücke Op. 76de Brahms et mes propres Variations sur un thème de R. Schumann.

Ce sont de nombreuses et belles nouvelles. Nous serons attentifs à votre récital de Madrid, merci pour votre temps.

Martha Argerich & Arielle Beck

La pianiste Martha Argerich fut la présidente du jury lors de l’édition 2018 du Concours International Chopin Jeune, lorsque Arielle Beck décrocha le Premier Prix à seulement 9 ans. La grande dame du piano a dit d’Arielle Beck : « Il y a une petite fille française qui est vraiment remarquable. Elle joue magnifiquement, c’est une personne extraordinaire… Une très grande sensibilité. Un talent ! »En 2021, la pianiste Martha Argerich a célébré ses 80 ans avec une série de concerts au Château de Chantilly, en France. Arielle Beck, à seulement 12 ans, fut invitée aux côtés de nombreux des meilleurs interprètes et amis de Martha Argerich, tels que Gidon Kremer, Maxim Vengerov, Mischa Maisky, Evgeny Kissin, Tedi Papavrami…