Au Théâtre des Champs-Élysées
Le Théâtre des Champs-Élysées, ce dimanche matin : dans cette salle où résonnent les souvenirs d’Argerich, de Kempff ou de Pollini, c’est une adolescente qui s’installe au Steinway. Arielle Beck, 16 ans, choisit de lancer sa carrière parisienne, non pas avec un bouquet de pièces tape à l’œil et emphatiques, mais avec la Sonate n°1 de Robert Schumann, la D.784 Schubert et les terribles Variations sérieuses de Félix Mendelssohn. Un triple salto arrière dans la haute intensité romantique, sans filet de sécurité. Et pourtant, rien d’effrayé dans son attitude, elle qui a déjà foulé une grande scène du piano cet été, au Festival de La Roque d’Anthéron. Dès les premières notes, on comprend qu’elle est là pour marquer sa carrière. On se souviendra de ce jour quand, dans dix, vingt, trente ans, Arielle Beck sera notre plus grande pianiste.
SCHUMANN – PAS DE PANIQUE. Ouvrir un récital avec la Sonate n°1 de Schumann, c’est choisir la tempête plutôt que la brise. Complexité thématique, architecture tortueuse : de quoi donner le vertige. Mais Arielle Beck, imperturbable, déploie un phrasé fluide et un sens du relief appliqué. Les nuances respirent, les contrastes se répondent comme s’ils coulaient de source. Ce n’est pas un Schumann brûlé au feu de la passion, mais ciselé avec patience, presque comme si la jeune pianiste démontait la mécanique avant de la faire chanter. La ferveur est là, mais cadrée. L’émotion, sans débordement.
SCHUBERT – AU CALME. Après la densité de Schumann, la Sonate D.784 de Schubert prend des allures d’apaisement. Arielle Beck y déploie une sensibilité discrète, une pudeur du geste qui rappelle que le lyrisme peut aussi être retenu. Les silences respirent, la ligne s’étire sans lourdeur. Le Schubert qu’elle propose n’a rien de figé : il avance, respire, il danse presque. Le public se tait, suspendu à cette poésie sans effet de manche. C’est sans doute là qu’elle convainc le plus : quand la technique disparaît pour laisser place à cette curieuse impression de facilité.
MENDELSSOHN – PANACHE. Les Variations sérieuses arrivent comme une libération : tout ce qui était contenu s’exprime ici. Arielle Beck y montre une véritable versatilité : d’une variation à l’autre, elle change de masque, de ton, d’humeur. Le jeu devient conversation, les éclats se multiplient. Dans le final, le son éclate avec panache : tout est maîtrisé, mais tout semble improvisé. L’énergie, cette fois, gagne la salle entière.
Le public, conquis, ne la laisse pas partir si vite. La pianiste offre un Rondo capriccioso de Mendelssohn, d’une légèreté étincelante, puis une Berceuse de Chopin toute en velours, suspendue comme un sourire. Les applaudissements s’éternisent. On découvre alors une jeune artiste déjà familière des codes du récital : la maîtrise, l’élégance, la discrétion juste avant la révérence finale.
Juan Barrios