MÉDIA
One to watch – Gramophone
Publié le 26/10/25

« Arielle Beck joue la première page de l’Humoreske, Op. 20 de Schumann, en mettant en évidence les lignes de basse et les voix intérieures. Elle prend à cœur l’indication Sehr rasch und leicht (« Très vif et léger »), serait-ce par le côté sec et détaché. La section Hastig (« Pressé ») débute d’une façon magnifiquement ample et exploratoire, tandis que les séquences tourbillonnantes et les accords pointés suivants mettent l’accent sur le détail contrapuntique plutôt que sur l’élan passionné et la poussée dramatique qu’on entend de la part de Claudio Arrau, Radu Lupuet Emanuel Ax. Et c’est ainsi durant toute l’interprétation, dans laquelle l’intelligence pénétrante de la pianiste tient quelque peu sous contrôle le tourment volatile de la musique.

Fait intéressant, la rigueur structurelle qui gouverne les Pièces pour piano Op. 76 de Brahms fait surgir de cette pianiste un art musical plus émotionnellement prenant et tonalement somptueux. Sa sonorité s’enrichit considérablement dans les ondulations des figures de la main gauche du Capriccio initial, tandis que le tempo modéré de cakewalk propre à la pièce populaire en si mineur n° 2, souligne l’humour pince-sans-rire de la musique. Beck prend également son temps dans toute la n° 3, et s’attache particulièrement à façonner les arpèges de l’accompagnement. Son lyrisme sincère, venu du cœur, et une conscience de la ligne maintiennent la musique vivante et fluide à chaque mesure de la n° 4. Bien que son tempo de base pour la n° 5 ne soit pas spécialement rapide, Beck parvient cependant à transmettre un véritable climat d’agitato, aidée par sa claire articulation des accents syncopés de la ligne de basse. Notez aussi les changements d’équilibre des voix qu’elle opère tout au long de la n° 6, et la manière dont sa progression délibérée et la construction graduelle des textures complexes de la pièce finale portent leurs fruits à la fin.

Lorsque la dernière partie a commencé, j’ai d’abord supposé entendre les Variations sur un thème de Clara Wieck de Schumann (tirées de sa Sonate n° 3). Mais dès que les harmonies chromatiques ont fait leur entrée, j’ai su qu’un compositeur contemporain en était l’auteur. Certains gestes polyrythmiques denses m’ont fait penser à ce qui se serait produit si Leopold Godowsky et Frederic Rzewski avaient eu un enfant, avec Ronald Stevenson pour sage-femme. Un passage de trilles évoquant un essaim de moustiques (autour de 8’33’’) mène à un territoire plus introspectif et consonant, tandis que la composition se détend progressivement et s’éteint. Et qui a écrit cet ensemble de variations attrayant, inventif et ingénieux ? Nul autre qu’Arielle Beck elle-même ! Oh ! j’allais oublier de mentionner que cette musicienne douée est née en 2009 et a enregistré l’album à 15 ans. C’est vraiment quelqu’un. »

Jed Distler, Gramophone, octobre 2025, p. 89.