
Coups de cœur à Chantilly
Un son pur et dense, un phrasé naturel, une grande sensibilité. Les mots de Victoria Tomoko Okada dans sa recension « Festival de musique de chambre au château de Chantilly » (Cantabile vivace).
Extrait en français : « Son programme comprenait la Première Ballade de Chopin, Une barque sur l’océan extrait de Miroirs de Ravel, ainsi que deux de ses propres compositions qu’elle a jouées en alternance avec ces œuvres : Mazurka pour Martha et D’une sentimentalité régulière – Invention extravertie.
Dès l’écoute du premier Chopin, j’ai été fortement impressionnée par le fait qu’elle puisse jouer avec une telle maîtrise à seulement 13 ans — un véritable talent prodigieux. Son jeu possède un son pur et dense, sans aucune impureté, et elle ne touche jamais par erreur les touches voisines ni ne fait de fausses notes. Lorsqu’il faut chanter, elle le fait avec un phrasé naturel, mettant en valeur des lignes mélodiques parfois cachées. Quand un jeune interprète joue ainsi, on pense souvent qu’il reproduit les idées de son professeur, mais ici, ce n’est pas le cas : on sent clairement qu’elle a elle-même analysé en profondeur la pièce et structuré son interprétation.
La Première Ballade de Chopin, en raison de sa célébrité, met à nu les qualités réelles du pianiste qui l’interprète. En l’écoutant, je me suis surprise à me demander combien de pianistes professionnels actuels sont capables d’en donner une version aussi aboutie. Son interprétation laissait entrevoir un avenir des plus prometteurs. Dans Ravel, elle a parfaitement rendu la fluidité de la musique.
Ses deux compositions personnelles illustrent parfaitement sa capacité d’analyse et de construction. La Mazurka est dans un style totalement chopinien : si on faisait écouter Chopin et cette œuvre à une personne non avertie, elle croirait probablement qu’elles sont du même compositeur. C’est une pièce noble, utilisant des modulations pleines de finesse.
D’une sentimentalité régulière – Invention extravertie est une pièce de moins de dix minutes écrite dans le style des premiers travaux atonaux de Schönberg. Là encore, on pourrait la présenter comme une œuvre peu connue de Schönberg, et personne ne douterait. Elle contient aussi de nombreux éléments lyriques à la manière de Berg, témoignant d’une grande sensibilité. Une petite fugue conclut la pièce, montrant qu’elle a déjà acquis une maîtrise élevée de l’écriture musicale. L’interprétation, ici encore, est très naturelle, empreinte de musicalité, mais également de clarté, avec un équilibre parfaitement dosé entre les deux.
Ces deux pièces démontrent pleinement sa capacité à assimiler différents styles musicaux. Elles rappellent les anecdotes selon lesquelles le jeune Mendelssohn maîtrisait déjà parfaitement la technique de composition à 14 ans, ou encore les improvisations de Thierry Escaich, compositeur et organiste que j’ai entendu à plusieurs reprises, dont les sons jaillissent comme des mots dans une conversation, y compris dans le style de divers compositeurs. Il n’est pas exagéré de dire que cela y fait penser. On attend avec impatience de voir comment elle développera son propre langage compositionnel à l’avenir. »