
Une pianiste accomplie
Recension du concert du 18 mai 2025 au Teatro de Fernando / Circulo de Bellas Artes à Madrid, par Tomás Marco : « Madrid : La precoz madurez de Arielle Beck », Scherzo.
Photo © Nacho Martin.
Traduction en français :
« La maturité précoce d’Arielle Beck
Jouer du piano exige d’abord une maîtrise technique extraordinaire qui n’est pas à la portée de tous ceux qui l’étudient. Interpréter au piano est encore plus difficile, car cela demande une connaissance approfondie des styles, des techniques et des expressions qui requièrent une maturité qui ne vient pas uniquement avec les années. C’est pourquoi beaucoup de pianistes ayant une carrière précoce s’égarent en chemin, ce qui ne semble pas être le cas de la Parisienne Arielle Beck qui, à quinze ans tout proches des seize, affiche déjà une carrière jalonnée de prix importants et de prestations dans des lieux de premier ordre.
Sa présentation à Madrid a eu lieu dans le cadre du cycle Círculo de Cámara du Círculo de Bellas Artes, dirigé avec le talent habituel d’Antonio Moral. Un succès retentissant et mérité avec un programme des plus exigeants.
Elle a débuté avec la Suite anglaise n° 2 en la mineur BWV 807 de Bach, une œuvre qui requiert une technique claire et agile, mais pour laquelle il ne suffit pas de dérouler la mécanique baroque. Il s’agit d’une construction formelle vaste qui repose autant sur le contrepoint que sur l’harmonie. Voix, réponses, cycles structurels, tout doit être exposé avec une clarté extraordinaire tout en restant animé d’une âme expressive. Beck l’a abordée avec une grande noblesse et une perfection où Bach brillait pleinement.
La Sonate n° 14 en la mineur D 784 de Schubert est une œuvre notablement dramatique, composée dans des circonstances difficiles qui transparaissent dans la musique. La pianiste a montré qu’elle était capable de les comprendre et de les exprimer, qu’elle les ait vécues ou non. Elle en a livré une version très remarquable, une œuvre qui impose des exigences techniques mais surtout interprétatives.
À l’opposé, la Sonate n° 1 en fa# mineur op. 11 de Schumann est une pièce imprégnée du sentiment amoureux juvénile que la pianiste a su exprimer avec justesse et avec le degré de virtuosité destiné à la virtuose pour laquelle elle a été écrite, Clara Wieck, future Clara Schumann.
Les Variations sérieuses en ré mineur op. 54 de Mendelssohn font partie de ces œuvres qui, bien qu’appartenant à la période créative la plus aboutie d’un compositeur, sont souvent négligées par les interprètes à cause de leur difficulté. Car bien qu’elles soient imprégnées du romantisme, elles révèlent aussi l’admiration et l’influence profonde de Bach sur Mendelssohn. Ici, il faut bâtir, laisser la structure devenir forme et permettre à cette forme d’exprimer sans décrire, mais avec émotion. Rien de tout cela n’est facile, mais Arielle Beck y est parvenue avec naturel et une grande maîtrise.
De plus, elle a sauté la pause annoncée et a interprété tout le programme d’un seul tenant. Un effort supplémentaire pour l’interprète et pour le public, mais que l’on a apprécié dans cette immersion musicale, sublimée par un bis schubertien.
Un grand succès, amplement mérité. Malgré sa jeunesse, elle est déjà une pianiste accomplie. Il est probable qu’elle interprétera ces œuvres différemment dans quelques années. Mais cela ne signifiera pas qu’elle les jouera mieux, seulement qu’elle aura une autre maturité que celle, déjà brillante, de sa précocité actuelle. Et je doute fort qu’elle fasse partie de ceux qui se perdent en route, car elle a déjà parcouru suffisamment de chemin pour qu’il n’y ait pas de retour possible.
Tomás Marco »